Sous le ciel de Samara Scott

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Article par Emma Callegarin

La nef du CAPC a vu passer bien des artistes. Cette salle aux volumes impressionnants, hérités de son ancienne fonction d’entrepôt, est l’écrin des œuvres in-situ réalisées au sein du musée d’art contemporain de Bordeaux. Depuis septembre dernier il abrite une création monumentale, malheureusement invisible au public du fait de la fermeture des lieux culturels. Je vous propose ici une visite écrite de cette Voie lactée particulière. 

Samara Scott, artiste britannique de 37 ans ayant fait sa formation au Royal College of Art de Londres, s’est emparée de l’espace afin de nous proposer cette pièce nommée « Doldrums ». Grâce à une toile créant un faux plafond de 1000 m2, l’artiste a su saisir le potentiel de la nef en la séparant en deux verticalement, mettant ainsi en exergue la superficie au sol. Elle obstrue, avec son installation, ce qui se passe au niveau des mezzanines, et pousse le spectateur à lever les yeux vers ce ciel artificiel. En effet, le lieu est vidé de toute perturbation potentielle pour le regard : aucune œuvre ne vient troubler les murs blancs, tant au rez-de-chaussée qu’aux mezzanines, selon la volonté de l’artiste. Face à ce grand espace vide, on n’a qu’une envie : se déplacer, parcourir la nef pour voir toutes les sections et tous les angles composant l’œuvre. Le spectateur pour englober les Doldrums doit être actif. L’art ne se veut pas qu’objet de contemplation, il doit accompagner la vie, en être le cadre, c’est pourquoi différents évènements ont été conçus pour se dérouler dans la nef : des séances de Yoga, un défilé de mode (malheureusement annulé), … L’art se place au centre du lieu de vie que devient le musée. 

Samara Scott au CAPC

C’est une pièce qui nécessite l’engagement du corps, non seulement du public mais aussi celui de la créatrice. Samara Scott a tout réalisé elle-même, de la disposition des objets au pilotage de la nacelle, telle la cheffe d’orchestre de cette composition plastique et colorée. Cette toile tendue, véritable canevas de sa création, a nécessité bien des réflexions : l’artiste aime travailler avec des substances, des liquides, or la toile, choisie pour sa solidité afin de supporter le poids de la structure, du fait de sa porosité ne le permettait pas. Samara Scott a donc utilisé des matières solides, qui dessinent sur ce plafond un paysage onirique laissé à la libre interprétation du spectateur. Pendant un mois, elle a fait des aller-retours entre les hauteurs de sa nacelle, depuis laquelle elle plaçait les éléments, et le sol, afin d’en juger l’effet visuel. Le travail s’est effectué section par section, elle tendait une bande de toile, disposait les objets et passait à la bande suivante.  Cela explique la disparité entre les différentes zones, l’une pouvant être épurée, garnie de quelques éléments en bordure de mezzanine, l’autre au contraire, constituée d’une superposition d’éléments plongeant la section dans un fouillis pictural.

Ce qui s’offre à notre regard n’est pas identifiable lorsque l’on reste au sol, on cherche à percer les mystères des composants de cette œuvre en vain. La toile, cassant la tridimensionnalité, nous place face à une sorte peinture abstraite, ici on peut voir un paysage maritime, là une scène de camping, il n’y a pas de bonne vision de l’œuvre. 

Samara Scott au CAPC 2

Le titre de l’exposition, « The Doldrums », nous aide à définir notre ressenti face à l’œuvre que l’on contemple telle une Voie lactée de plastique. On se sent au fond de l’océan, à lever les yeux vers la surface et les déchets flottants. Doldrums désignant le pot-au-noir, zone équatoriale redoutée des navigateurs à cause de l’absence de vent, une interprétation marine se dessine. Toutefois, c’est un autre sens qui permet de mettre des mots sur la sensation de flottement qui saisit le spectateur fasciné. Doldrums signifie « récession » en termes économiques, mais aussi stagnation, sensation transmise par la suspension du plastique au-dessus de nos têtes. 

C’est en empruntant l’escalier de pierre et en surplombant l’ensemble, que l’on se rend compte de sa nature : nous sommes face à un champ de déchets. A cause de la division des espaces, le sol de la nef n’est plus visible, seule demeure cette étendue jonchée de rebus. Ce que l’on contemplait de manière esthétique d’en bas, se révèle ici : on identifie les composants de l’œuvre, on voit la ceinture, la mousse expansée, les bâches plastiques et les chips. On reconnait les objets, et ils retrouvent toute la puissance de leur matérialité, Samara Scott les réinscrit en tant qu’objets de notre quotidien. Tous les éléments ont été amenés par l’artiste ou trouvés aux abords du musée. C’est un travail de recherche, de récupération de produits transformés ou de déchets organiques et chimiques. 

Samara Scott joue avec nos attendus et nos idées préconçues de l’art. Dans “The Doldrums” ce ne sont pas des matériaux nobles qui sont employés, ce sont des rebus auxquels on n’accorde pas un regard lorsqu’ils trainent sur un trottoir, mais que l’on admire ici car ils sont l’essence même de l’œuvre. En les faisant entrer dans l’enceinte du musée, elle change leur statut et leur donne une valeur artistique et même esthétique. Elle brise aussi l’image de l’œuvre d’art pérenne, destinée à être conservée des siècles, puisque tout ici, est temporaire et évolutif. En choisissant des matières organiques et en les soumettant au temps, c’est la perception de leur transformation qui est recherchée. On voit la pizza se dessécher, les mousses expansées moisir, le plastique se désagréger, c’est une œuvre vivante, en évolution constante.

Samara Scott au CAPC montage

La vision du dessus permet de rompre avec l’image plane et introduit les volumes des composants, ce n’est plus une peinture sur toile, avec ses jeux de couleur, de texture, elle change de dimension et devient une sorte de sculpture géante. Elle met en lumière le surplus de consommation plastique en en faisant quelque chose d’envoûtant.

La liberté que le spectateur avait dans l’interprétation des formes, il l’a aussi dans l’interprétation du sens global de l’œuvre. Samara Scott ne propose pas une vision engagée écologiquement ou politiquement, elle suggère et laisse le public se faire son propre avis. Elle utilise le plastique par fascination pour ce médium et les possibilités qu’il offre. Elle donne à voir, et c’est cette mise en lumière que l’on peut rapprocher du travail d’Arman. Artiste qui en faisant les poubelles des Halles, faisait de ses oeuvres un reflet, un miroir de notre société, par ce que l’on consomme et ce qu’on jette.

Liens utiles :

Site de l’artiste

Site du CAPC

Crédits photo : CAPC musée d’art contemporain, Emma Callegarin, Cnap

Categories: actualités

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