Des hommes en boîte : Interview à Noémie Boullier
Par : Carlos Olivera
Bienvenus à notre première “interview confinée“, une série d’interviews avec des artistes locaux qui ont accepté de nous parler de leur art et de leurs activités pendant le confinement.
Notre première interviewée est l’artiste plasticienne Noémie Boullier. Gravure, dessins à l’encre, peinture à l’huile, tous les supports sont bons pour déplier son univers. Nous l’avions rencontrée lors de l’exposition “Ni muses ni soumises, artistes” de l’association MACLA en novembre dernier et nous avions adoré sa série “Bêtes d’intérieur”. Voici ses réponses aux questions de notre rédacteur.
J’ai toujours aimé ta série « bêtes d’intérieur ». Le titre (et les images) me font penser que le mot « intérieur » a une double signification : intérieur comme « à la maison », ces bêtes de notre quotidien, mais aussi à l’intérieur de nous comme personnes. Est-ce que c’est vraiment comme ça ? Pourras-tu nous parler un peu plus de cette série ?
Cette série est arrivée sans prévenir, ni avertir qu’elle allait être longue !
J’avais quelques vieux cadres dans mon atelier depuis des années qui s’accumulaient et un jour de grand rangement comme j’aime le faire de temps en temps, j’ai voulu les utiliser.
Le format restreint et imposé par ces cadres (même s’ils sont de tailles très différentes) ne me laissait pas d’autres choix que de faire des portraits, figures ou bustes, alors que je n’aimais pas trop jusque-là traiter une seule figure : je préférais confronter au moins deux êtres vivants afin qu’une narration hasardeuse s’offre au spectateur.
Alors j’ai commencé à préparer chaque support en fonction du cadre : à découper du médium , à passer du gesso sur des supports existants, à préparer des fonds en jetant des couleurs pour finir des pots de peinture, à coller des photos récupérées dans des vieux journaux, me laissant aller à n’importe quel outil que j’avais sous la main (collage, dessin, peinture, craies grasses…) , essayant de casser les automatismes dans lesquels je me sentais embourbée quant à la construction même de la figure humaine ou…animale.
J’en peignais plusieurs à la fois, les laissant, les reprenant, ils m’entouraient en attente d’une petite retouche ou d’une grande transformation. Ils devenaient nombreux et très vite le besoin de courir les vides greniers, les brocantes et les Emmaüs à la recherche de nouveaux cadres afin d’agrandir cette famille était devenu obsessionnel.
Alors les cadres remplis et les autres vides s’accumulaient …j’ai commencé par les appeler mes « amis internes » car le temps que je passais avec eux plus ou moins long, me permettait de les connaître, comme s’ils se construisaient un peu à mon insu, je tentais de laisser les portes ouvertes aux nombreuses possibilités de ce qu’ils pouvaient devenir….
Alors les possibilités deviennent infinies …. Et c’est un peu l’angoisse de se dire que matériellement, physiquement tous ces « amis » ne vont pas pouvoir se démultiplier à l’infini, mon grand atelier devient de plus en plus exigu, on y trébuche, j’ai l’impression que certaines bêtes s’y cachent …. C’est comme ça qu’elles sont devenues des « bêtes » et d’ « intérieur » car leur forme matérielle (encadrées) sont effectivement destinées à être accroché du coté intérieur du mur , et qu’elles poussaient en moi comme des parasites .
D’où la nécessité de me mettre une limite de nombre. MAIS du chiffre 365 auquel j’avais pensé, il s’est transformé en 360 avec l’idée d’être entouré par ces bêtes d’intérieur.
« Bêtes d’intérieur / 360° ».
J’avais commencé à les numéroter puis j’ai perdu la cuenta !!
Je pense que je tourne aujourd’hui autour de ce chiffre, je crois aussi que cette série ne sera jamais finie… mais je ne cours plus après les cadres !!!
L’exposition pour laquelle je devais enfin sortir toutes les bêtes de mon atelier a été annulée … Les bêtes restent à l’intérieur !
Pendant le confinement on te voit poster sur les réseaux sociaux des images d’une série « Des hommes en boîte ». As-tu commencé cette série pendant le confinement ? est-ce qu’elle a une relation directe avec les « bêtes d’intérieur » ?
Privée de mon atelier depuis le confinement, j’ai commencé à dessiner avec plume et encre sur une toute petite table qui sera mon atelier durant toutes ces semaines. Très vite est arrivé un dessin qui sera le premier de la série « des Hommes en boîte ».
Je n’écoute que très peu les informations (trop anxiogènes et ma maman chérie se charge de me faire un résumé téléphonique !) mais je suis tombée sur les images des animaux qui se rapprochent des villes, des ports …. Et ça m’a donné envie d’utiliser cette image de l’homme en boîte et de le confronter avec un extérieur qui change, puis cette « boite » est devenu « motif » et il m’est venu tout naturellement d’autres images et d’autres scénarios …
Les réseaux sociaux …. mon principal lieu d’exposition !!
Au début je n’ai absolument pas fait de lien entre les deux séries, mais c’est vrai que ce serait facile de penser que nous nous ensauvageons, que nous devenons des bêtes à l’intérieur de nous et de nos maisons, de notre construction charnelle et architecturale …On serait devenu des bêtes d’intérieur car la nature de l’homme n’est pas d’être enfermé. On serait civilisé à l’extérieur et sauvage à l’intérieur.
Le lien entre les deux séries n’est pas encore évident mais il est sûrement tissable !
Peux-tu nous parler plus de cette série “Des hommes en boîte” ? Quel est son origine, ses influences (et tes influences) ?
Donc l’Homme en boîte est une grossière métaphore de notre condition dans le confinement. Confiné dans un espace physique et géométrique, notre faculté à créer des images n’est-elle pas inévitablement conditionnée elle aussi ?
C’est une poésie de confinement qui se construit dessin après dessin. L’évocation d’images, d’idées, de ressentis, d’émotions, la sensation de peur, d’espoir, les préoccupations intimes et donc universelles, s’emmêlent et de là jaillissent de nouvelles images traduites en traits, taches et couleurs. Une chronique de l’absurde..une mise en image de l’état d’âme du jour, comme un diagramme ( représentation graphique permettant de décrire l’évolution d’un phénomène, la corrélation de deux facteurs…) cette série pourrait s’appeler ainsi « diagramme d’un confinement »!)
La boite comme un cocon de soie, un lieu de transformation… et nous une chrysalide… passant d’un état à l’autre.
Reconsidération du nous dedans et en dedans et du nous dehors …. L’extérieur, l’autre, le temps… sont des concepts que je ressens soudain.
La fusion de l’homme et la boite « l’homme-boite » comme une métaphore de ressources inépuisables : un contenant avec ou sans couvercle, boite a outils, boite à idées, boite à lettres, boite crânienne, boite de nuit, boite de vitesse (organe renfermant les trains d’engrenages du changement de vitesses !!) et boite noire qui permet de connaître les conditions de déroulement d’un trajet !
La situation qu’on vit est totalement inédite de par son caractère mondial. Est-ce que le confinement a changé ta façon d’appréhender ton art ?
J’ai toujours eu la volonté de peindre les absurdités de notre civilisation …Malheureusement cette série parle aujourd’hui d’une expérience commune au monde entier. Grâce à la création on peut s’échapper, imaginer d’autres réalités, apporter de la légèreté dans la crise terrestre comme un cri terrestre parmi d’autres, partager des visions et imager un présent et imaginer l’Après.
Je crois que le confinement est en train de me changer mais je ne sais pas comment ….
Noémie Boullier
Née à Aix-en-Provence en 1980. Je grandis avec cartons, papiers, ciseaux, cutters, craies, feutres, crayons… puis je deviens adulte et n’arrête jamais de dessiner et de peindre. En 2000 je voyage au Mexique, et passe quelques années à Oaxaca dans des ateliers de gravure, lithographie et peintures… Installée dans l’entre deux mers, je peins sans cesse des têtes, des bêtes…
Pour en savoir plus sur Noémie Boullier:
https://www.instagram.com/noemieboullier/
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