Parenthèse onirique : immersion dans le travail du photographe Arnaud Bertrande

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Interview : Emma Callegarin / Crédits photo : Arnaud Bertrande

Jokulsarlon, photo d'Arnaud Bertrande

La pose longue est l’une des clefs du travail envoûtant d’Arnaud Bertrande qui lui permettent de saisir des villes où tout semble suspendu, des cascades dont l’eau paraît presque cotonneuse, des crêtes montagneuses au noir et blanc intense, …

Par ses compositions minimalistes et son regard particulier et pertinent sur la nature et les villes qui nous entourent, ses photos arrêtent le temps et invitent à considérer la réalité sous un nouvel angle.

Vous avez commencé la photo il y a longtemps déjà, est-ce que vous pourriez me parler de votre rapport avec ce médium ?

La photo est un hasard plus qu’une suite logique. Lorsque j’étais plus jeune, j’utilisais régulièrement un petit appareil photo pendant les vacances ? Avec le temps j’ai décidé d’acheter un appareil plus perfectionné et de faire directement de la technique photo, et non pas de la photo classique. Cette volonté de vraiment me concentrer sur la manière de faire de la photo, sur l’aspect technique vient d’une rencontre que j’ai faite en Angleterre. J’y ai croisé quelqu’un qui faisait de la pose longue et ça m’a surpris, j’en ai discuté avec lui et je me suis rendu compte des possibilités que ça offrait.

J’ai eu envie de tester et c’est cela qui m’a poussé à acheter un appareil au départ. Finalement j’ai travaillé, j’ai exploré cette technique photo et j’ai commencé à me faire plaisir avec des clichés plus minimalistes.

Landman nalaugar, photo d'Arnaud Bertrande

Vous arrivez à vivre de votre art ?

Aujourd’hui vivre de la photo peut être compliqué, je gagne ma vie mais je ne peux pas vous dire que c’est grâce uniquement au côté artistique de mon métier. Je vis de ma passion mais pas de mon art.

C’est surtout la prestation qui me fait vivre, ça va être tourné vers l’architecture qui était un sujet qui me plaisait déjà, et je fais aussi des reportages photos.

Je trouve que ce sont deux casquettes qu’il est compliqué de porter en même temps, je n’ai pas le même regard et la même approche pour la photo d’art et les reportages.

Black guardian, photo d'Arnaud Bertrand

Lorsque l’on regarde vos photos, elles sont très épurées, minimalistes comme vous le dites. Comment est-ce que vous décririez votre style ?

Je ne pense pas avoir « un style », mon travail est vraiment très diversifié. Je pars dans des directions très différentes, par exemple je peux partir sur de la pose longue avec un travail en noir et blanc plutôt minimaliste, je fais aussi du noir et blanc beaucoup plus intense. Ensuite, j’ai créé des séries sur l’architecture, qui alternent entre couleur et noir et blanc selon mes goûts et les demandes. Mon travail est assez vaste, je me laisse porter par ce que j’ai envie de faire. Il y a toujours cette petite touche de pose longue, ma marque de fabrique, parce que ça amène quelque chose qui me transporte et transporte aussi ceux qui regardent mon travail.

Cette pose longue confère à votre travail une dimension onirique, est-ce que cette technique est un moyen d’appréhender une réalité différente ?

Oui, tout à fait. Mais je pense que c’est propre à chaque photographe qui utilise cette technique, c’est artistique.

 Utakleiv, photo d'Arnaud Bertrande

Je crois que chaque œil a sa sensibilité, c’est ce qui fait que l’on a envie de relater une histoire où quelque chose à travers un travail minimal, et ce peu importe le médium, que ce soit par une photo, un dessin ou une technique utilisée pour raconter ça. La richesse de l’art, c’est de transmettre notre ressenti par notre travail.

Vous parlez d’onirisme, je pense que ça dépend de l’approche que l’on a avec la pose longue. Le fait de devoir utiliser des filtres pour que la photo ne soit pas trop claire et de régler le temps de pose de façon à ce qu’il soit plus ou moins long permet de vraiment explorer toutes les possibilités de la photo, il y a des variations presque infinies sur lesquelles on joue en tant que photographe.

La pose longue permet un autre regard sur ce qui nous entoure, en effet c’est quelque chose que l’on ne voit pas de suite. Par exemple vous allez à la mer, vous regardez les vagues se briser sur la plage, en faisant une photo avec la pose longue vous allez avoir des teintes, des contrastes, des mouvements que l’on ne voit pas. C’est la technique photo qui va permettre de les révéler. Contrairement à une photo « classique » où l’on sait déjà ce qu’on va avoir, avec la pose longue on ne connaît pas le résultat, il y a un effet de surprise pour chaque photo prise.  

C’est un processus qui demande de la préparation et donc de l’anticipation, comment construisez-vous vos moments créatifs ?

Pour mon travail, il y a deux façons de procéder puisqu’il se divise en deux parties : soit je voyage ou me déplace dans le but de faire une photo, soit c’est le hasard qui me porte. Par exemple je peux voir un endroit à la télévision ou en photo et me dire que j’aimerais y aller parce qu’il y a quelque chose à faire qui me semble intéressant. A l’opposé, je peux aussi être en vacances ou dans un endroit que je ne connais pas, découvrir le paysage et m’y adapter. Après, effectivement la pose longue demande du matériel, que ce soit l’appareil, le trépied ou autre il faut une organisation, la photo se réfléchit a priori. Et ce, d’autant plus que j’accorde beaucoup d’intérêt à la composition. Lorsque l’on fait de la photo, c’est l’une des premières choses que l’on vous apprend : il faut tourner autour du sujet. C’est en l’envisageant sous tous ses angles, en essayant d’y venir à des heures différentes pour en voir les lumières qu’on capture l’ambiance qui va nous plaire. La lumière reste quelque chose d’important, de magique dans le rendu d’une photo.  De cette façon on peut voir un bâtiment de manière complètement différente, le même objet change complètement.

Vous arrivez à renouveler votre regard sur ce qui vous entoure ?

Mon humeur et mes envies jouent beaucoup sur l’appréciation de mon environnement. Par exemple, en ce moment je suis un peu lassé de chez moi et des pontons, je sens que j’en ai fait le tour.

C’est compliqué quand on est photographe de se renouveler, de voir les choses autrement par rapport à l’endroit où l’on vit. C’est justement pour ça que je bouge. Le voyage permet de se diversifier un petit peu, d’avoir le regard qui change.

Les rencontres avec d’autres personnes, ou photographes peuvent être un déclencheur aussi. Même parfois des partenariats enrichissants.

Meca, photo d'Arnaud Bertrande

Vos photos se caractérisent par cette pose longue mais également par le format : la plupart sont de format carré. Pourquoi ce jeu de contraintes ?

A mes yeux, ce n’est pas vraiment une contrainte, ça dépend vraiment de mes photos.

Quand je suis en couleur, c’est très rare que j’utilise le format carré, ce n’est le cas presque que pour le noir et blanc.

Je pense que c’est plutôt une manière de voir le sujet que l’on veut photographier et qui m’aide à trouver la composition que je souhaite.

Le format carré est une forme de restriction parce que la taille de l’image est restreinte mais cela permet de changer le travail. Avec le temps c’est devenu une forme d’automatisme, le format carré appelle une photo plus artistique.

Pour vous donner un exemple, j’ai photographié la Méca, et j’ai fait à la fois de la photo au format classique en couleur, et ensuite la même photo plus artistique en noir et blanc format carré avec un travail dessus. On peut donner une autre vision à un même élément grâce à une technique photo. C’est cette dualité de vision, une plus réaliste et une autre plus artistique que j’aime dans mon travail.

Certaines de vos photos présentent un noir et blanc particulier, comment arrivez-vous à ce résultat ?

Je shoot avec un appareil numérique, et j’utilise un fichier natif qui permet de travailler un maximum dans les gammes de couleurs, les basse-lumières. L’avantage de ce genre de fichier c’est que ce n’est pas destructif, on peut remettre le fichier à 0 et recommencer, ça laisse des possibilités impressionnantes pour le travail en postproduction.   Je ne travaille pas directement en noir et blanc, je trouve que ça ne me correspond pas, il n’y a pas le rendu que je souhaite en termes d’intensité.

Totem, photo d'Arnaud Bertrande

Les technologies bouleversent complètement le monde de la photo, comment est-ce que vous appréhendez ces transformations ?

La technologie évolue tellement vite, il y a tellement de flux d’images, ça soulève forcément des interrogations et des remises en question : comment sortir du lot et se dire que l’on va en vivre, que les photos vont plaire et que vous allez en vendre ?

On met toujours la différence amateur-professionnel où le professionnel est censé en vivre et donc avoir un très bon niveau mais de nos jours un amateur peut être très bon. Je trouve que c’est quelque chose d’agréable à voir, l’image est démocratisée, accessible. Bien évidemment l’outil aide mais il y a le regard, la perception de l’image et de ce qu’on veut en faire qui est déterminant pour une belle photo.

C’est cette dimension de recherche qui m’intéresse dans la photo : trouver ce qui peut être à raconter, la façon de le faire. C’est pour ça que j’appréhende la vidéo différemment: pour moi elle nous donne tout à voir directement, alors que la photo oblige un regard attentif, c’est une force de l’image que j’aime beaucoup, le spectateur doit être actif.

Je reste ouvert à de nouvelles techniques photographiques mais expérimenter reste aussi un coût parfois, il faut du matériel, un studio, … Mais c’est enrichissant, en tant que photographe je suis tout le temps en train d’apprendre.

Liens utiles :

Site internet d’Arnaud Bertrande :

Instagram d’Arnaud Bertrande

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